Question de foi – ‘Bon’ et ‘mauvais’ larron
Zoom sur la retraite 2014, prêchée par le Père Pagès
Evoquons quelques « fondamentaux » nécessaires : c Comme on traverse sa vie avec tout ce qui s’y passe. La rédaction des Psaumes s’est ainsi mise en place entre le VIe et le IIIe siècle av JC. Les Psaumes, ce sont des orientations nuancées, des genres littéraires, des auteurs comme le célèbre roi David. C’est sans doute cinq livres qui s’enchaînent (de 1 à 41, de 42 à 72, de 73 à 89, de 90 à 106, de 107 à 150). Mais c’est aussi un livre tout court, avec un style poétique qui l’unifie, un projet théologique qui montre un monde partagé entre le bien et le mal, dans lequel il faut avancer en choisissant sans cesse, tout en expérimentant la présence fidèle de Dieu. Ce sont des thèmes forts.
Mais le livre des Psaumes, c’est en fait deux attitudes fondamentales qui habitent la vie des hommes à travers les siècles : la demande (ou supplication) et la louange. On pourrait dire la plainte et le merci. Cette « oscillation » constante entre la certitude d’être exaucé et l’incertitude qui menace toujours. Comme une demande muette, un appel au secours pour que triomphe l’humain sur l’animal, la liberté sur la servitude, la Foi sur l’incroyance. Bref, toute la complexité de l’être humain, de l’âme humaine. Et cette complexité, la voici ; tous, nous portons en nous, en proportions variables, confiance et méfiance, angoisse et espérance, révolte et accueil, désir de comprendre ce qui nous arrive et volonté de construire un avenir, rejet de l’autre vu comme une menace et désir de s’ouvrir à tous pour vivre une fraternité ! Toute la gamme de ces sentiments et leur complexité. Le miroir, peu banal, de l’expérience humaine dans son entier. C’est ainsi que le « je » devient « nous » et nous devenons universel. On y découvre aussi la figure forte du roi David, mettant à contribution les épisodes contrastés de sa vie. Par lui et au-delà de lui, la figure d’un peuple. On fait mémoire de ses sentiments et de ses réactions face aux événements qu’il traverse. Il est tout à la fois l’objet de la confiance de Dieu. Il peut être plein d’humilité en reconnaissant ses limites. Il peut aussi tromper cette confiance, se montrant bien fragile et pécheur (psaumes 51 et 55)…comme nous ! Enfin le psautier c’est une structure avec les Psaumes 1 et 2 qui donnent le ton. Avec les Psaumes 146 à 150 qui concluent. Entre les deux, des thématiques fortes et diverses.
Les Psaumes 1 et 2 plantent le décor et le message, comme un prologue pour tout le psautier et pour tous les hommes.
Le Psaume 1 le dit clairement : ce monde est comme partagé entre le bien et le mal. Oui, il y a bien une joie de la Foi : « Heureux l’homme qui se plaît dans la loi du Seigneur » mais la réalité humaine dément parfois de façon cinglante ce bonheur de l’homme de Foi, car le méchant parfois triomphe et le mal fait son œuvre (Psaumes 9 et 75). Enfin le jugement de Dieu qui déchirera les apparences en faisant éclater la Vérité. Un avenir est annoncé, qui n’est pas que loin de nous, où la vérité se fera. En attendant il faut assumer un présent où tout est mêlé, obscur, parfois ambigu. Cela peut même entraîner le juste mais cela donne aussi du temps au pécheur pour changer ! Comme si, dans le présent, rien n’était complètement joué d’avance, car c’est le temps de la décision et des choix (Psaumes 24, 36, 72, 118). Le livre du Deutéronome l’exprime ainsi ; « je te propose de choisir entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction, choisis la vie afin de vivre » (Dt 30,19). Ce choix n’est pas caricatural : qui choisirait la mort pour la mort ? Il invite, au cœur de toutes les situations de faiblesse ou de confusion, à croire en la vie, en nos capacités, à l’œuvre et à la puissance de Dieu dans ce monde et sur nos vies.
Le Psaume 2 confirme ces choses. Il évoque la lutte que Dieu affronte avec le mal et les fauteurs de mal. Mais Dieu répond en s’engageant dans la lutte. Car Dieu répond toujours. Quand et comment, là reste le mystère de son action. Il suffit de regarder la grande aventure biblique. Ce sont des libérations successives, comme on peut en faire l’expérience au concret, de façon inattendue. On peut parler de l’énigme du renversement des situations de vie. L’exil à Babylone où le temple est détruit et pillé, où Dieu semble soudainement absent…L’esclavage en Egypte et l’exode où toute dignité a disparu (Exode 15) ! Oui mais, Babylone s’effondrera et le peuple retrouvera sa terre. De l’esclavage on reviendra et l’épreuve sera passée ! De ces libérations naîtra une louange, enfin possible !
Les Psaumes 146 à 150 reprennent et concluent : tout se terminera par un chant, une louange ! Et c’est déjà, au cœur de l’épreuve, l’expression du désir d’être libéré qui creuse en nous la louange et la prière. Il y aura une victoire, mais qui dit victoire dit combat ! Avec quelles armes ? Le Psaume 149 évoque « l’épée à deux tranchants ». Est-ce à dire que nous ayons besoin des armes des hommes pour la cause de Dieu ? Allons ! Littéralement « tranchants » se traduit « bouches ». C’est avec la « bouche de la supplication » et celle « de la louange » qu’on mène le bon combat. Ce sont les armes du psalmiste et elles doivent être les nôtres. Le Psaume 150 lui, nomme dix fois sa conviction profonde : « Louez le Seigneur ». Dix fois comme le « Déca(10)-logos(paroles) » (Exode 34). Ne parlons pas trop vite de « commandements », entendons d’abord littéralement « dix paroles pour vivre » ! On peut trouver sa joie dans un monde difficile, hier comme aujourd’hui, avec des questions, des culpabilités, des injustices, des maladies, mais l’homme est fait pour bénir et être heureux « malgré tout ». Il est fait « pour vivre » !
Entre le « prologue » et « les conclusions », il y a des thèmes forts qui font alterner la supplication et la louange…la loi et la justice (Psaumes 20, 77, 113, 119…), la royauté avec David, quand la royauté humaine montre ses limites et que Dieu revendique sa puissance de vie (Psaumes 44, 88, 89…) la violence (Psaumes 57, 130…). Il y a même une certaine dose de violence qui dérange et font se détourner certains de la prière des Psaumes. Mais il faut scruter et comprendre le message. La fonction des mots violents c’est de nous libérer de la réalité de la violence, en mettant comme à distance, par les mots, ce qui pourrait nous pousser à l’extrême !
Exprimer, dire sa violence, par les mots, c’est la dominer à l’inverse de Caïn et Abel qui en arrive au meurtre (Genèse 4). Dieu parle parfois fort et dur, comme un cri, en vue d’une libération. Comme nous ! (psaumes 58, 135…). Le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu débonnaire, qui laisse tout faire sous prétexte que l’amour ne se compromet pas avec la violence. Non, le Dieu de la Bible répond au faible et au pauvre…comme il a répondu au temps de l’Exil et de l’Exode et qu’il a fait œuvre de libération. Et ce combat mystérieux n’est pas celui des idées ou des concepts, c’est celui des visages concrets et multiples, de ce qui rend esclave.
En conclusion de ce parcours rapide, retenons que les Psaumes ne sont pas une simple collection de prières. Ils sont de vrais récits d’humanité. Ils sont aussi, une vraie théologie (parole sur Dieu) pour « dire Dieu ».
Chaque Psaume, avec ses nuances, comporte deux paroles, l’une dit les choses et l’autre ce qu’il apporte à l’aventure humaine toute entière (psaume 61 verset 12) « Dieu a dit une chose, deux choses que j’ai entendues, ceci, que la force est à Dieu et ceci, tu rends à chacun selon sa conduite ». Et la conduite des hommes, elle est un combat. Chacun le mène en traversant l’épreuve, la faiblesse ou la maladie, découvrant une force qui n’est pas de lui. Dans la plus obscure des détresses, le psalmiste s’adresse à Dieu car rien ne peut nous séparer totalement de lui. Même l’épreuve n’a pas ce pouvoir ! Quoi qu’il en soit des « mouvements de son âme », même les plus violents, le lecteur du psaume est appelé à cette conscience que Dieu habite toute sa vie. S’adresser à Dieu, dans la plainte c’est encore et toujours espérer de Lui (Psaume 21) et toutes les lamentations humaines sont comme le témoignage de l’action salutaire et concrète de Dieu. Voilà enfin ce que nous disent les Psaumes ; un autre, avant nous, a fait ce chemin et il témoigne de son issue salutaire : quoi qu’il arrive c’est un chemin de vie !
Relisons le philosophe Paul Ricœur : « Les Psaumes parlent à Dieu plus qu’ils ne parlent de Dieu. Ils effacent le particularisme des souffrances pour y retrouver la souffrance primordiale, originelle et radicale, celle de se sentir abandonné de Dieu…Le faire-mémoire de la souffrance passée éclaire notre présent en y annonçant une espérance…Il y a bien un lâcher-prise à vivre par l’expression de la plainte qui délivre de l’enfermement dans le malheur…Ils disent la part universelle et imprenable de l’homme en souffrance et de sa joie devant Dieu, une expérience pour tous les temps…
Les Psaumes permettent au cœur humain d’exprimer devant Dieu, en toutes circonstances, ce qui l’habite, désirs, plaintes, questions, peurs, violences…Les psaumes donnent le droit de parler à Dieu de notre existence concrète, à partir de la réalité de notre corps fragile et désirant…C’est la fonction thérapeutique des psaumes, comme le disait Saint Athanase, une psalmo-thérapie !…Dire, chanter les psaumes, c’est se laisser travailler et traverser par quelque chose de plus grand, qui, au final, nous élève. Le psautier finit toujours par reconnaître et célébrer la bénédiction de Dieu sur son peuple et sur le monde. Mais lorsque Dieu bénit, il ne fait pas que parler ou souhaiter du bien. Sa parole devient action et don de lui-même. Sa bénédiction devient réelle quand elle trouve des cœurs et des vies qui l’accueillent. Le psautier n’émet pas de vœux pieux, il invite à vouloir du bien pour l’autre, à nous engager à le faire advenir, à recevoir la parole de l’autre comme un don, à trouver le lieu où nous pouvons réaliser nos attentes les plus fortes »…
Père Michel Pagès, aumônier national LCE