Question de foi – La joie de la mission
La joie de la mission : Quand Jésus rencontre l’homme riche : « Nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager »
Père Michel Pagès
« Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que l’invitation du Seigneur n’est pas pour lui. Personne n’est exclu de la joie qu’apporte le Seigneur. »
(Pape François, La joie de l’Evangile – n°3)
Évangile de Marc (10, 17-31)
Il se mettait en route, quand quelqu’un vint à sa rencontre et, s’agenouillant devant lui, il l’interrogeait : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne tue pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère ». « Maître, lui dit-il, tout cela je l’ai observé dès ma jeunesse. »
Alors Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. Et il lui dit : « Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens, suis-moi . » Mais lui, à ces mots, s’assombrit et il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! »
Les disciples furent étonnés de ce que Jésus parlait ainsi ; mais, de nouveau, Jésus leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu. Il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Qui donc sera sauvé ? »
Fixant sur eux son regard, Jésus dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais non pour Dieu. Car pour Dieu tout est possible. » Pierre fit alors remarquer : « Nous, nous avons tout laissé pour te suivre. »
Jésus répondit : « En vérité, je vous le dis : personne ne laissera maison, frères et sœurs, mère, père ou enfants, ou champs, à cause de moi et de l’Évangile, sans recevoir cent fois plus dès à présent en ce monde, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, même avec les persécutions ; et, dans le monde à venir, il aura la vie éternelle. Beaucoup qui sont parmi les premiers seront derniers, mais les derniers seront premiers. »
Méditation en vue du prochain pèlerinage : Lourdes, la joie de la mission
Quand il vient à la rencontre de Jésus, l’homme riche ne représente-t-il pas chacun de nous ?
L’Évangile de Marc ne précise pas d’emblée que cet homme est riche. On ne le découvre qu’au fil du récit. Mais voilà que, comme cet homme, ce « quelqu’un », nous sommes tous porteurs de questions importantes semblables à celles-ci : « Comment vivre de la joie qu’apporte le Seigneur ? Qu’appelle-t-on la vie quand on est éprouvé ? C’est quoi un « après » si un « avant » est trop difficile ? »
Peut-être ne les formulons-nous pas en ces termes mais, comme l’indique le Pape François, une invitation rejoint chacun d’entre nous. Lorsque nous traversons une épreuve, la question de Dieu et de son œuvre se pose avec plus d’acuité : « Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter cela ? » Il faut regarder plus loin. Lorsqu’Il a fait alliance avec les hommes, Il nous a montré le chemin. Le voici : nous sommes faits pour davantage, nous sommes faits pour vivre plus pleinement…
Interrogé sur le « Royaume de Dieu », Jésus renvoie d’abord son interlocuteur aux fondements de la vie humaine…
Avant même de professer notre foi en Dieu, il importe d’honorer la vie humaine, du début à la fin. Le respect que nous portons à la vie est signe d’une humanité authentique. Cet homme le sait au plus profond de lui. Il n’apprend rien quand Jésus lui énumère les commandements, que l’on appelle aussi les « dix Paroles qui font vivre. ». « Alors Jésus le regarde et se prend à l’aimer », nous dit l’Evangile.
Après les généralités fondatrices et structurantes il y a le regard particulier et unique que Jésus porte sur chacun. Tout homme porte en lui des choses essentielles dont il sait qu’elles sont les bases de sa vie, et sachant cela, il est invité à entrer dans une intimité avec Jésus.
En quoi le regard de Jésus est-il source de vie ?
Le regard de Jésus nous renvoie à « la mission », à une forme de « témoignage » personnel. Quand on est missionnaire, on doit être attentif à tout homme. Il n’est plus question de généralité ou de théorie, mais d’une rencontre « de personne à personne »…. Jésus lance un appel : « Donne ce que tu as aux pauvres, et suis-moi ». Entendons bien. La mission commence par la volonté de mettre de côté notre ego et nos peurs, et de distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. C’est aussi se demander : « Qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? Est-ce que je ne me suis pas trop replié sur moi-même ? N’ai-je pas trop oublié le lien avec les autres ? »
En quoi l’Évangile nous invite-t-il à nous désencombrer ?
Avec cet Évangile, nous comprenons qu’être appelé à vivre de la foi, c’est toujours une rencontre puis un cheminement qui, tout à la fois, comble un vide et nous dépouille. En cela l’Évangile a quelque chose d’exigeant et de radical. La mission, c’est accepter d’être un signe pour quelqu’un qui ignore ce qui, en lui, est le plus essentiel. Etre un signe pour quelqu’un qui n’a jamais pris le temps ou eu les moyens d’écouter cette voix intérieure qui suscite en lui le meilleur… « Viens et suis moi » est le chemin de l’aventure chrétienne.
Le Christ ne cesse d’éveiller ce qui est essentiel dans nos vies…
La mission ne nous fait-elle pas entrer dans ce qui relève d’une « aventure » ? A tout instant, le Christ interroge chacun de nous, tout en laissant notre liberté. Cet Évangile nous en donne la preuve. Invité à distribuer ce qu’il possède et à suivre Jésus, cet homme « s’assombrit ». Nous l’avons bien compris, cela renvoie au fait qu’il est comme « encombré » et quelque part « triste ». Jésus regarde alors au-delà de lui ; il regarde ses disciples et plus largement encore. Désormais il ne parle plus à un seul homme mais à toute à l’humanité. « Qu’il sera difficile à celui qui a des richesses d’entrer dans le Royaume. » La joie de la mission appartient d’abord à celui qui se fait pauvre. Il faut l’entendre autrement que par la catégorie sociologique. Jésus n’exclut personne, n’étiquette personne. Il fait juste le constat que la tentation de l’homme est de se replier sur lui-même, sur ce qu’il a, sur ce qu’il appelle ses « richesses ». Jésus montre que cela l’empêche d’entrer dans le Royaume. Dans son exhortation, La joie de l’Évangile, le Pape François parle de la place privilégiée des pauvres dans le cœur de Dieu (n°197-n°201). Pourquoi ? Parce que ceux qui sont pauvres manifestent plus que d’autres, une ouverture particulière à la foi, justement parce qu’ils ont besoin de Dieu.
Etre pauvre, c’est donc avoir besoin de Dieu…
Il importe de vouloir « recevoir de Dieu », d’être disponible à l’invitation du Seigneur. Etre pauvre, c’est accepter cette part de fragilité que la vie nous fait découvrir, à travers certaines épreuves, certaines maladies, certains deuils. L’expérience de cette fragilité peut être douloureuse mais elle nous rend capables d’entendre autre chose que nous-mêmes. Le Royaume auquel Jésus nous convie nécessite d’avoir un cœur tourné vers le Seigneur. À perspective humaine, beaucoup de choses sont impossibles, mais si nous avons confiance en Dieu, tout peut devenir possible. C’est comme si le Seigneur disait aux hommes de ce temps et de tous les temps : « Apprenez à reconnaître et à dire votre fragilité. Ne vous repliez pas sur vous-même, ne vous enfermez pas sur ce que vous savez ou avez ! Au contraire, ce qu’il y a de pauvre en vous, de blessé, de fermé, apprenez de Dieu qu’il peut le transfigurer et vous ouvrir à davantage. Mieux, qu’il va « ouvrir des espaces » en vous, des « perspectives », comme un immense « appel d’air » salvateur et capable de toucher les autres…»
L’Évangile dit alors : «À ceux qui ont laissé un peu, il sera donné beaucoup»…
Beaucoup ont été touchés par Jésus, et ont essayé que leur vie soit en communion avec la sienne. Au détour d’une difficulté et au regard d’une belle fidélité, ne nous arrive-t-il pas de dire à Jésus que nous attendons de Lui, comme une reconnaissance, un encouragement, une récompense, une bienveillance ? Cette bienveillance est légitime. Ceux qui ont donné recevront en retour de grandes choses. Parce que l’on a reçu, on a compris que l’on pouvait donner et non pas thésauriser. La mission est témoignage, mais elle est aussi transmission, don, partage…
Comment comprendre cette phrase : « Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers, premiers ? »
Cela nous rappelle que la mission n’est jamais finie. Dans la pleine lumière de Dieu, tout se révèle à une autre échelle. C’est le monde à l’envers : celui que l’on croyait loin de Dieu en est plus proche qu’on ne l’imaginait, alors qu’à l’inverse, certains que l’on pensait fidèles ne sont pas très ajustés à leur Seigneur. La « Bonne Nouvelle », c’est une liberté, une ouverture, une nouveauté, et peut-être des surprises… Nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager. Jésus loue les pauvres, dans leur manière d’être à la vie. Ceux qui apparaissent comme trop malades, trop handicapés, trop exclus portent un « essentiel » capable de retourner les situations.
Pourquoi est-il si difficile d’entrer dans le Royaume alors que Jésus est venu sauver tout le monde ?
L’image du chameau qui passe à travers le chas d’une aiguille est à mettre en rapport avec une fable de La Fontaine : celle de la grenouille qui, envieuse de la belle taille du bœuf, veut se faire aussi grosse que lui. Si nous sommes comme une grenouille, gonflée d’orgueil et de suffisance, nous ne pourrons jamais « passer ». C’est en acceptant d’être limité, de ne pas « gonfler » qu’on « passe »… Si nous sommes véritablement plus simples, Dieu fera quelque chose avec nous, de nous, pour nous et pour les autres, tous les autres…
Dieu conduit-il notre vie au travers des joies et des épreuves ?
En aucune manière, Dieu ne nous envoie les épreuves que nous traversons mais Il éclaire notre route. Nous sommes ses enfants qu’Il veut conduire à Lui. Prenons l’exemple d’un enfant qui apprend à faire du vélo. S’il accepte d’être conduit et guidé, très vite, il goûtera à une joie, celle de se découvrir « capable » après avoir été aidé ! Dieu nous donne une part de liberté afin que nous puissions profiter de la vie, mais cette liberté légitime n’a pas vocation à nous éloigner de la source, qui est Dieu. L’épreuve situe l’homme dans ce dilemme entre cette liberté légitime et le risque que cela comporte. Mais Dieu veille sur nous car Il veut notre bonheur.
Vous associez la « mission » au « témoignage »…
On peut se remémorer la façon dont le pape Jean-Paul II avait fait repentance pour les actes commis par l’Église qui, pour annoncer la Bonne Nouvelle, avait usé de « moyens peu compatibles avec la Bonne Nouvelle ». On n’impose jamais les choses. Quand quelqu’un a fait l’expérience de son orgueil, de sa fragilité, il peut faire un chemin et reconnaître la façon dont Dieu était là pour nourrir sa vie de sa présence et la rendre joyeuse. La mission n’est pas une corvée. Témoigner relève de la joie. On peut dire : « J’ai compris, j’ai été libéré, j’ai envie de dire… « Venez voir ce que le Seigneur a fait pour mon âme »…
Thérèse de Lisieux est la patronne des missions. Elle portait dans le cœur le désir de prier pour les âmes. Comme Jésus qui, sur la Croix, disait « J’ai soif », elle voulait arracher les grands pécheurs aux « flammes éternelles ». Elle avait notamment beaucoup prié pour Pranzini, un grand criminel qui, avant d’être exécuté, a embrassé un crucifix. Ce fut le « premier enfant » de la petite Thérèse. Que peut nous apprendre Thérèse sur la mission ?
Etre missionnaire, c’est aussi avoir le souci de l’intercession. Mgr Ballot, lors du dernier pèlerinage LCE disait que « la prière est la forme la plus aboutie de la fraternité humaine ». La mission, c’est se découvrir frères de tous les hommes. On peut être solidaire les uns des autres, intercéder pour les autres, prier pour ceux qui ne savent pas prier… Un autre épisode de la vie de Thérèse mérite d’être souligné. Celui de cette nuit de Noël 1886, où elle a vécu une véritable conversion. Son père aimait à la choyer et le jour de Noël était toujours plein de bonheur. Mais ce jour-là, fatigué de la messe de minuit, il éprouva de l’ennui à voir ses souliers dans la cheminée et dit : « Heureusement que c’est la dernière année. » Thérèse refoula ses larmes qui, de son propre aveu, lui venaient trop vite et la rendaient insupportable. A l’âge de dix ans, elle sentit que Jésus lui donnait la grâce de sortir de l’enfance. A cet instant, elle retrouvait la force d’âme qu’elle avait perdue à l’âge de quatre ans et demi, quand sa mère avait été emportée par un cancer. Guérie de sa « trop grande sensibilité elle fut alors emplie de la force de Dieu ». Etre capable de se contenir, sans laisser parler les caprices ou les larmes, est extraordinaire. Le modèle du missionnaire est celui du petit enfant, car le Royaume des Cieux appartient à ceux qui leur ressemblent. Thérèse voulait être libre de s’élever à Dieu par la confiance et par l’amour.
En vivant son quotidien dans sa famille, avec son entourage, mais aussi en rencontrant la Vierge Marie, Bernadette est devenue missionnaire. Grâce à son témoignage, nombre de pèlerins viennent à Lourdes et se convertissent…
La Vierge a éduqué Bernadette, elle l’a fait grandir dans la foi, elle l’a purifiée. Elle l’a invitée à se désencombrer, à dépasser les apparences, à se construire sur ce qu’elle est vraiment. C’est à cause de sa pauvreté que Bernadette a été choisie. C’est à cause de sa pauvreté de cœur que Bernadette était ouverte à Dieu. À Lourdes, nous venons, aussi, apprendre d’elle…
« Viens et suis-moi. »
Propos recueillis par Béatrice Rouquet
Photos : Philippe Cabidoche