Question de foi - Lire et prier le « Magnificat » et bien plus que le « Magnificat »…
Le projet de Dieu est une longue histoire…Elle s’exprime par la grande « aventure » d’Abraham, « père des croyants », et arrive jusqu’à nous ! Histoire d’une « Alliance entre Dieu et les hommes ». Histoire d’une confiance sans cesse renouvelée en dépit des faiblesses humaines. Histoire d’un peuple en marche. Histoire de la Bible qui ne cesse de révéler la surprenante pédagogie divine, avec des constantes…comme la fidélité de Dieu, la prédilection pour ceux qui sont humbles, les signes de sa présence par ses œuvres et l’appel à se réjouir de la Foi en son projet sur nous et sur le monde.
Marie appartient à cette histoire, elle est nourrie des évènements et de la prière de ce peuple en marche. « Humble servante d’Israël », elle se voit, à son tour, choisie, particulièrement choisie, pour que l’œuvre de Dieu se réalise et s’accomplisse par le Christ qu’elle accepte de porter. Joseph, « de la maison de David », va, à sa place, entrer dans ce projet et le servir dans la foi et la fidélité au « Dieu fidèle ».
Comment résumer ce projet ? Au regard du chemin biblique et au regard du chemin du monde, sans nul doute, comme « une œuvre de libération ». Car Dieu tient toujours ses promesses, il ne désespère de personne, il nous veut dans sa joie et ne cesse de choisir les plus humbles pour le dire et le redire.
Le chant du « Magnificat » est bien la réponse de Marie au choix dont elle est l’objet, mais il est bien plus ! Il est le mouvement spontané de Marie qui connait et prie avec les mots du Peuple saint de la première alliance, habitée de toute une histoire sainte. Comme le fait, à sa façon, Bernadette, devant l’apparition, devant le divin. Spontanément, elle s’appuie sur les mots et la prière de tout un peuple, l’Eglise, elle sort son chapelet et laisse monter une prière qui est bien plus que la sienne.
Relisons et réapproprions-nous le « Magnificat », avec Marie…déjà maintenant, comme nous l’avons fait lors de la retraite annuelle LCE et bientôt, lors de notre prochain pèlerinage…
Père Michel Pagès
Marie chante le Magnificat
Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !»
Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les anges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais.»
Vous soulignez que le choix de Marie pour porter Jésus au monde s’inscrit dans une histoire sainte, elle-même est « fille d’Israël », membre du « peuple choisi » appelé à entraîner le monde. Que nous révèle Marie en chantant le Magnificat ?
Lorsque Marie apprend le dessein de Dieu sur elle, que l’ange lui fait connaître au moment de l’Annonciation, elle part à la rencontre de sa cousine Elisabeth qui, dans sa vieillesse, porte en son sein Jean-Baptiste. Les deux femmes portent chacune, une partie du message. Le choix de Dieu se porte en priorité sur les humbles. Ce sera le cas de Bernadette. Quand Marie chante le Magnificat, elle est pétrie de la prière d’Israël. Elle appartient à un peuple et elle sait ce qu’elle a reçu de ce peuple. Alors, au contact de Dieu, elle fait ce que Bernadette a fait à la Grotte : elle pose des gestes de foi. En voyant Marie, à la Grotte de Massabielle, Bernadette pose les mots et les gestes de foi qu’elle a reçus.
Le premier mouvement de Marie est de dire : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ». Ses premiers mots sont une exaltation de joie. Marie ressent et reprend en faisant siens les mots des prophètes et des Psaumes et ses mots nous y renvoient… « J’exulte de tout mon coeur, je lui rends grâce car il est la force de son peuple » (Psaume 28). « Magnifiez avec moi le Seigneur car rien ne manque à ceux qui le cherchent » (Psaume 34)…« Je tressaille de joie dans le Seigneur et mon âme exulte en mon Dieu » (Isaïe 61, 10)
Le deuxième mouvement du Magnificat est de rendre grâce pour le don qu’il lui a été fait. Dieu l’a choisie… Marie s’exprime ainsi : « Il s’est penché sur son humble servante (…)» Cela nous renvoie encore au prophète Isaïe, chapitre 41 : « Tu es Israël, descendance d’Abraham, tu es mon serviteur et c’est toi que j’ai choisi ».
On peut aussi relire le Psaume 25 :
« Seigneur, pense à la fidélité que Tu as toujours montrée envers nous » et au Psaume 31 : « Je danserai de joie pour ta fidélité mon Dieu, car Tu as vu ma misère et tu connais mes détresses ».
Le troisième élan de Marie est de reconnaître l’oeuvre de Dieu… Marie prie avec ces mots « Sa miséricorde s’étend d’âge en âge »… Sont associées dans une même réalité la puissance et la miséricorde de Dieu. Dieu a un projet de libération. C’est le thème majeur du peuple saint. Marie porte en son sein le Messie. Elisabeth, qui était inféconde, porte aussi Jean-Baptiste. L’oeuvre de Dieu, c’est de libérer les personnes et c’est de « rendre possible » ce qui, à perspective humaine ne l’est pas ou ne l’est plus. « Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides…» Dieu inverse souvent les rôles. On le voit agir de la même manière pour Bernadette, qui, de faible condition, pauvre, malade, sans instruction, et qui connait bien des souffrances. Entendons encore les mots d’Anne, inféconde elle aussi et qui devient la mère de Samuel : «Il relève le faible de la poussière. Il tire le pauvre du tas d’ordure pour l’installer avec le prince de son peuple ». Dans Isaïe, au chapitre 57, « Il veut rendre la vie à l’esprit des gens rabaissés et aux coeurs des gens broyés ». Le cardinal Lustiger l’exprime à sa façon : « Le « je » de Marie, c’est aussi le « je » de l’histoire d’Israël. C’est le « je » de tous les croyants qui nous ont précédés et ce « je », c’est aussi le nôtre, et celui de l’Eglise ».
Vous dites que le Magnificat nous place devant la réalité de l’homme fragile qui, malgré tout, est toujours choisi et aimé pour prendre part à une oeuvre qui le dépasse…
La force de Marie, c’est l’expression d’une humble servante issue d’un peuple saint, mais qui devient, par sa confiance et son oui, modèle de Foi. Nous participons d’une Eglise fragile à bien des égards mais qui a vocation à venir en aide à un monde toujours fragilisé. A tout visage de souffrance, d’épreuves ou de difficultés, elle proclame la promesse et la fidélité de Dieu et sa victoire qui aura le dernier mot. Celui qui s’associe, par la Foi, au chant de Marie, fait cette expérience où il est vu dans sa fragilité. Il est choisi et appelé pour vivre d’une même Espérance qui le dépasse mais qui lui est destinée. L’oeuvre de Dieu n’est pas intemporelle, désincarnée, elle a quelque chose à voir avec nos existences concrètes, avec nos vies, nos sociétés, nos émotions, nos indignations, nos fragilités, nos épreuves mais aussi nos élans les plus profonds. Le « Magnificat » nous apprend que rien ne peut arrêter la marche vers le Royaume de Dieu dont les valeurs de justice et de partage, de dignité et de respect, contestent violemment les nôtres et les questionnent toujours…
Vous prenez pour exemple, certaines prières de la grande tradition de l’Eglise, comme ce qu’on appelle la « séquence » de Pentecôte, hymne liturgique de cette fête qui proclame l’œuvre de Dieu en son Esprit…
« Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé, assoupli ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rend droit ce qui est faussé »…
Nos situations de vie sont marquées par tant de visages de la fragilité. Dieu veut se saisir de tout cela, en Jésus, pour nous faire avancer. Vécus avec Jésus…la faute, l’erreur, l’errance, le doute, la peur, l’épreuve, la maladie… ne sont pas graves en soi. Nous culpabilisons de certaines situations de fragilité et de vie, nous les interprétons même.. Mais nous devons aussi savoir, depuis la longue tradition biblique, que cela n’empêchera pas la Lumière de Dieu de nous rejoindre. Faut-il encore nous y ouvrir ?
Vous évoquez maintenant le quatrième mouvement du Magnificat…
Marie dit : « Il relève Israël, son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais »… Les difficultés nombreuses que nous pouvons traverser, les épreuves de toutes sortes jusque « dans nos corps, et dans nos liens » comme on dit à LCE, n’ont pas vocation à nous empêcher de trouver Dieu. Craignons plutôt de refuser la Lumière qui ne manque pas de se proposer à nous, sous une forme souvent discrète et humble. Comme pour la Vierge Marie. Dieu a un remède pour nous et cela transcende le temps et l’histoire des hommes…
Quel est ce remède ?…
Dieu se sert de nos difficultés pour nous dire quelque chose de Lui qui n’est rien d’autre qu’une oeuvre de libération. Marie est là, humble et cachée. Peut-être pourrions-nous lui demander son secret, son « climat intérieur », nous qui ne sommes pas aussi simples et humbles, qu’elle ? Peut-être faut-il nous réfugier à l’ombre de sa simplicité, elle qui, à Lourdes, a choisi Bernadette. Peut-être sommes-nous invités à porter sur la souffrance et sur la difficulté ce regard de Marie ? Bernadette « marginale » à bien des égards, mais bel et bien, regardée et choisie. Dans le premier livre de Samuel, chapitre 16, 7, on peut lire « Car Dieu ne regarde pas comme les hommes, les hommes regardent les apparences et Dieu regarde le cœur »… Bernadette ne disait-elle pas : «Elle me regardait comme une personne » ?…
De quelle manière pouvons-nous l’entendre aujourd’hui, nous qui à Lourdes, venons trouver une force auprès de Marie ?
A Lourdes Cancer Espérance, nous savons que c’est le défi de la maladie « dans notre chair ou dans nos liens » qui nous met en route et nous fait mystérieusement avancer. Nous rejoignons ainsi, l’immense famille humaine des fragilisés de la vie qui viennent à Lourdes, dans la confiance du Magnificat de Marie. Au thème de son Magnificat s’ajoute cette présence maternelle qui s’exprime ainsi : « Marie, santé des malades… force de guérison »…« Marie, refuge des pécheurs… force de pardon »… « Marie, consolatrice des affligés… force de consolation »… « Marie, miracle de Lourdes… force de renouveau »….
Propos recueillis par Béatrice Rouquet