Question de foi – La foi rend possible...
Entretien avec le Père Michel Pagès
« La foi rend possible ce qui est humainement impossible »
Le thème pastoral des Sanctuaires Notre-Dame de Lourdes nous invite à prier le Rosaire. La récitation du chapelet s’est développée parmi les fidèles qui sont entrés dans cette tradition tournée vers le « pauvre ». Vous soulignez qu’il ne faut pas l’entendre selon la situation matérielle de chacun ; la pauvreté se trouve dans toute existence soumise à la maladie, à l’épreuve, à la souffrance… au moment où l’individu se tourne vers Dieu en le suppliant de lui apporter son aide. Dans la Bible, la figure de Job est riche en enseignement. Pouvez-vous nous en parler ?
Le Pape Benoît XVI a exprimé avec justesse que « la foi rend possible ce qui est humainement impossible. » Nous pouvons creuser cette idée qui s’appuie sur la figure de Job. A l’heure de l’épreuve et jusqu’à l’écrasement même, il n’avait aucune autre ressource que de se tourner vers Dieu. Rappelons-nous que le mot hébreu « Anawims » révèle que la pauvreté ne va qu’avec l’amour de Dieu, « les pauvres que Dieu aiment ».
Comment la tradition du Rosaire s’est-elle développée ?
Dans la tradition biblique, les psaumes étaient réservés aux doctes, aux gens du temple puis, dans l’Eglise, aux clercs. Avec l’apparition du Rosaire, le chapelet s’est développé comme la libre expression de se tourner vers Dieu avec une âme de pauvre. La pauvreté authentique est de reconnaître que seul « Dieu peut donner une issue » alors que nous lui confions ce qui pèse, ce qui est lourd à porter. Levons la tête et regardons le Ciel. Si nous considérons l’épreuve sur le seul plan humain, nous prenons le risque de nous enfermer sur notre malheur.
A Lourdes Cancer Espérance, la place accordée au dialogue est majeure. Ces temps d’échange sont comme autant de grâces qui aident à poursuivre la route…
Je me souviens du témoignage d’une adhérente qui avait participé à un carrefour lors d’un pèlerinage annuel. Après avoir fait le tour de la question sur une situation qui lui échappait, elle s’est laissé envahir par sa foi en Dieu. Elle parlait d’une « lumière divine ». Bien des années plus tard, un pèlerin ayant participé aux carrefours l’a croisée à Lourdes. Il lui a confié avoir gardé ses mots au fond de son cœur. Cela l’a beaucoup troublée, car cela lui avait paru anecdotique. Elle ne prétendait pas donner de leçons aux autres.
La citation du Pape nous permet de nous interroger sur ce qui est humain, « trop humain ». Quelle est votre réflexion à ce sujet ?
Nous sommes « trop humains » quand nous ne voyons de solution qu’à notre façon. A fortiori, quand nous la dictons, quand nous l’imposons : « vous n’avez qu’à » ; « il n’y a qu’à » ; « il faut »… Tout cela renvoie à des calculs. Or dans le cheminement personnel d’un malade, ce qui le touche, c’est de trouver quelque chose en lui qui est plus que lui : la lumière de Dieu.
Récemment, j’ai été appelé au chevet d’une malade qui venait d’apprendre qu’elle était atteinte d’une tumeur cérébrale. « J’ai la nécessité impérieuse de faire le point sur ma vie », a-t-elle dit en m’accueillant. Puis, elle s’est épanchée, consciente que les choses pouvaient mal tourner très rapidement. Elle m’a raconté les combats qu’elle avait menés.
Quelques jours plus tard, je l’ai revue. Elle m’a confiée s’être livrée bien plus qu’elle ne l’avait envisagé. « Dans ma vie, j’ai fait et j’ai dit des choses dont je ne me sentais pas capable, en bien et en mal », a-t-elle souligné.
Quand on est vraiment pauvre, il y a ce ressort de vérité, d’une paix aussi à retrouver, d’une source qui n’est pas de nous mais qui attend en nous !
Vous accordez une grande place à l’écoute…
Pour faire face à la maladie, il importe de progresser dans l’écoute gratuite, à la fois pas « trop humaine » et « profondément humaine ». Il faut écouter dans l’autre ce qui est plus que l’autre. L’humanité est pétrie de Dieu, mais si l’homme reste livré à lui-même, il court le risque de fermer la porte à Dieu. « L’homme est le chemin de Dieu… et Dieu est le chemin de l’homme… », écrivait le pape Jean Paul II.
Vous dites que le christianisme est un « chemin d’humanisation »…
Dans un lieu de soins, l’Eglise est instrument d’humanisation. Personnellement, les malades me reconnaissent comme un prêtre, mais il ne faut pas que cela occulte l’humain. Il faut passer « de la visite à la Visitation ».
Quand Marie part à la rencontre d’Elisabeth, sa cousine, il s’agit au départ d’une visite de « courtoisie », de « cousinade » quelque part. Elles portent l’une et l’autre Jésus et Jean-Baptiste. Mais il se passe autre chose qui les dépasse.
Il faut du temps pour « avoir » la foi. Il importe de se laisser transformer en profondeur…
Saint Augustin disait : « Le temps, c’est l’exercice de la patience de Dieu ». Le temps est un paramètre majeur pour les patients. Il ne faut pas regarder le temps comme un rival, mais comme un partenaire. C’est l’œuvre de Dieu. Le temps nous est donné. Quand un malade comprend que le temps lui est compté, il peut en profiter pour grandir intérieurement et atteindre une grande paix intérieure. L’enjeu est de commencer par ne pas nous laisser envahir par tout ce qui remplit nos vies.
Quand nous disons « Je vous salue Marie pleine de grâce » ou encore « Réjouis-toi Marie comblée de grâce », nous comprenons que Marie est l’illustration d’un cœur qui se donne. « On ne remplit que ce qui est vide ». C’est comme de « la physique » ! Marie s’est faite « vide d’elle-même » pour accueillir autre chose. Sa foi lui a rendu possible d’enfanter Jésus. Nos épreuves nous permettent d’avoir ce chemin et cette disponibilité à la Parole de Dieu, mais c’est le secret de chacun…
Vous insistez sur la notion de « chemin»…
Il faut essayer de ne pas faire obstacle à la venue de Dieu dans nos vies. Dans une relation amicale ou amoureuse, il faut permettre à l’autre d’être lui-même. L’humanité est un chemin. S’effacer pour que l’autre existe révèle une grande leçon d’humanité. « Etre avec l’autre sur un chemin qui est le sien »…
La foi ouvre au « Salut » et permet que la vérité de notre être nous soit révélée…
Dieu s’est « vidé de lui-même » pour nous sauver (cf Philippiens 2,5-11). Il a donné son Fils. Nous ne sommes pas la source du salut, mais chacun de nous peut agir et être un instrument auprès d’une personne en grande souffrance. Il faut lui permettre de puiser en son for intérieur quelque chose qu’elle ne soupçonnait pas.
On ne conquiert pas la vérité sur soi-même, elle nous est comme révélée. Ce processus d’humilité est le chemin d’une vie réussie : arriver à connaître ses limites, les accepter, dire « j’ai besoin de Toi Seigneur ». Puissions-nous arriver à être dans la vérité de nous-mêmes ! C’est périlleux et fragile. On ne peut pas faire ce chemin à la place de l’autre, mais on peut être un instrument pour les autres. Une personne peut dire : « J’ai touché cette part de vérité : je suis faible quand je me regarde, mais je suis fort en Dieu ». On touche là à la grâce de l’Eglise.
Propos recueillis par Béatrice Rouquet