Zoom sur les actions de la Ligue contre le cancer avec le docteur Bernard Couderc, président du comité des Hautes-Pyrénées
« Parce que le cancer est la première cause de mortalité en France, qu’il y a 1000 nouveaux malades par jour, que les programmes de prévention et dépistage organisés sont encore insuffisamment suivis, que la maladie s’accompagne aussi de conséquences sociales (inégalités, précarisation, etc.), la Ligue a besoin de toutes celles et de tous ceux qui souhaitent lui apporter une aide », peut-on lire sur la documentation de la Ligue contre le Cancer. Fondée en 1917 par Justin Godart, l’association compte 103 comités répartis sur le territoire national. Le docteur Bernard Couderc préside celui des Hautes-Pyrénées qui, depuis 1958, apporte un soutien essentiel aux malades grâce à l’engagement d’une vingtaine de bénévoles et de quelque 2000 adhérents. Les principales actions de la Ligue portent sur l’aide à la recherche, l’aide aux malades, la sensibilisation du public au dépistage et à la prévention, la représentation des malades auprès des institutionnels afin que leur cause soit mieux défendue. A Tarbes, le docteur Couderc répond à nos questions avec les bénévoles Chantal Pastre, ancienne infirmière et cadre de santé, et Danièle Bentayou, secrétaire générale de la Ligue 65.
Q. : Quelles sont les attentes des personnes qui franchissent la porte de la Ligue ?
R. (Chantal Pastre) : Les personnes ont besoin de mettre des mots sur ce qu’elles traversent ; bien souvent, elles relatent leur parcours de soin et leurs difficultés quotidiennes. Dans les Hautes-Pyrénées, plusieurs permanences sont assurées, que ce soit dans nos locaux ou dans des lieux de soin. Nous pouvons nous rendre aussi au domicile des personnes malades qui résident à Tarbes ou dans les alentours. Nous sommes aussi très attentifs aux familles.
Q. Comment se déroule cet accompagnement ?
R. (Chantal Pastre) : Les situations sont variées ; certaines personnes trouvent des ressources auprès de leur famille ou en sollicitant leur médecin traitant. Après un temps de rencontre et d’informations, elles n’éprouvent pas le besoin d’être accompagnées. D’autres nous recontactent et reviennent. Ayant exercé ma carrière dans le secteur de la santé, j’ai suivi une formation à l’écoute qui me permet d’entendre les non-dits, le ressenti dans la gestuelle et le regard. Le but est toujours de consoler, de rassurer. Les entretiens durent environ une heure. Les personnes éprouvées ont besoin d’exprimer leurs émotions mais aussi de voir qu’elles sont reconnues dans les difficultés qu’elles rencontrent. La parole est libératrice.
Q. : Quelles sont les propositions que vous mettez en œuvre pour aider les malades ?
R. (Chantal Pastre) : Outre l’écoute que nous leur apportons, nous donnons des compléments d’information sur le parcours de soins, en évoquant les effets de la chimio, de la radiothérapie ; nous donnons des conseils sur l’alimentation ; nous proposons aussi une aide financière sur dossier. Plusieurs ateliers sont également mis en place, par exemple pour revaloriser l’image par des soins esthétiques, pour s’évader à travers une activité artistique (peinture, chant, atelier d’écriture, théâtre…), pour s’adonner à une activité physique (escrime, groupe de marche…) ou encore se détendre (sophrologie, yoga). Nous sommes là pour accompagner mais nous n’intervenons jamais sur les traitements suivis.
Q. Quel est le travail administratif d’un comité comme celui de la Ligue 65 ?
R. (Danièle Bentayou) : Les membres du conseil d’administration,les adhérents d’une assemblée générale font vivre le comité ; au niveau administratif, il faut aussi assurer le suivi des dons, le marketing, procéder au renouvellement de documentation, qui sera ensuite distribuée aux malades. Il faut aussi superviser l’organisation de manifestations ponctuelles, soit organisés par le comité soit proposées par des tiers telles que des marches pour sensibiliser à la cause de la Ligue. On peut aussi souligner l’organisation d’un concours scolaire de créations artistiques afin de sensibiliser les plus jeunes à la nécessité de « prendre sa santé en main ». Chaque année, le thème est défini par la Ligue nationale. Cette année, il portait sur l’environnement ; les années précédentes sur le sommeil ou encore sur l’alimentation et le soleil.La Ligue fonctionne comme une entreprise qu’il faut faire vivre.
Q. Quelles sont les avancées au niveau des droits sociaux pour les malades ?
R. (Bernard Couderc) :La convention AERAS (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) vient d’être révisée en intégrant le « droit à l’oubli » pour certaines personnes ayant souffert d’un cancer dans le passé et souhaitant s’assurer afin d’emprunter. Jusqu’à présent, les difficultés à le faire étaient bien réelles. Aussi, cette convention stipule que dans le cas de cancers pédiatriques, les personnes n’auront plus à déclarer leur maladie, cinq ans après la fin du protocole thérapeutique. Pour les adultes, cette possibilité leur est offerte au bout de dix ans. On peut aussi souligner le cas des personnes qui travaillent à temps partiel et qui, souvent, n’avaient pas le droit aux indemnités journalières en cas d’arrêt-maladie. Le seuil du nombre d’heures a été revu à la baisse, ce qui est une avancée certaine.
Q. Qu’en est-il du plaidoyer de la Ligue sur le coût exorbitant des médicaments innovants en cancérologie ?
R. (Bernard Couderc) : De nouveaux médicaments sont arrivés sur le marché, notamment pour le traitement personnalisé en thérapie génique ou en immunothérapie. On peut citer le coût d’un nouveau médicament pour des personnes atteintes de mélanome : il s’élève à 100 000 € par an et par patient. L’assurance maladie ne peut pas supporter de tels coûts ! On risque de favoriser une médecine à deux ou trois vitesses. Il faut savoir qu’aux Etats-Unis, les dépenses de santé constituent la première cause de faillite des ménages. En Angleterre, les frais de santé pour les personnes âgées ne sont plus remboursés au-delà de 30 000 € par personne et par an. En 2015, une pétition a été lancée aux Etats-Unis par les oncologues pour dénoncer cette situation. La Ligue s’inscrit dans cette même ligne et continue ce plaidoyer du juste prix des médicaments et de leur accès à tous.
Q. Que pouvez-vous nous dire sur le prochain congrès de l’Union Internationale contre le cancer qui se tiendra à l’automne 2016 ?
R. (Bernard Couderc) : Ce congrès réunit toutes les associations qui, de par le monde, défendent la cause des malades du cancer. Tous confrontent ainsi leurs expériences. Cette Union est chargée des statistiques sur le cancer et leur classification internationale. Cela sert à avoir un langage commun pour toutes les équipes de cancérologie du monde. L’UICC est chargée de mettre à jour ces données régulièrement. Ce congrès international est un rendez-vous important. Sa prochaine édition se tiendra en France du 31 octobre au 2 novembre 2016.
Q. Quels sont les sujets d’étude de la Ligue ?
R. (Bernard Couderc) : Chaque année, à travers son observatoire, la Ligue publie un rapport complet sur tel ou tel sujet d’étude. L’année dernière, il s’agissait du cancer du sein. On étudie les conséquences de la maladie sur le patient, sur la famille. On évalue le reste à charge… Cette année, le sujet porte sur les aidants. En 2017, nous rendrons compte de la prise en charge des cancers après 75 ans.
Q. Pouvez-vous nous parler du combat d’Yves Castera, qui souhaite que l’on rende hommage aux personnes ayant accepté de suivre un protocole thérapeutique ?
R. (Bernard Couderc) :Une pétition a été lancée à l’initiative d’Yves Castera, qui a perdu un enfant à l’âge de 20 ans, après quatre années de combat contre la maladie et qui avait participé à des programmes de recherche. Il souhaite que les malades qui ont suivi ce parcours soient sortis de l’anonymat, en leur rendant hommage une fois par an, par exemple dans le cadre d’un congrès scientifique. Il faut savoir que les progrès de la cancérologie passent avant tout par la recherche. Le Plan Cancer 2014-2019qui est notre feuille de route, espère qu’au moins 10% des patients soient inclus dans des études thérapeutiques ; beaucoup plus en ce qui concerne les enfants et les adolescents.
Q. Comment se déroule un protocole thérapeutique ?
R. (Bernard Couderc) :Les essais sont très encadrés, mais quand on met en place un protocole, on pose une question : ce médicament est-il tolérable au niveau des effets secondaires ? C’est la première phase du protocole. Viennent les deux autres phases : est-il efficace ? Peut-on le substituer au médicament qui était alors de référence dans telle ou telle pathologie ? Récemment, de nouvelles molécules ont été mises sur le marché grâce à la recherche avec une efficacité majeure ; c’est le cas par exemple pour la leucémie myéloïde chronique, ou du cancer du sein.
Q. Quelles sont les avancées dans les traitements ?
R. (Bernard Couderc) : Outre les traitements déjà connus, comme la chimiothérapie ou l’hormonothérapie, il y a un développement de la thérapie génique et de l’immunothérapie. Les traitements personnalisés offrent de grands espoirs. Il faut aussi souligner parallèlement les progrès importants au niveau de la chirurgie et de la radiothérapie qui restent des armes majeures en matière de traitement des cancers.
Q. Quelle réflexion souhaitez-vous mettre en lumière au terme de cet entretien ?
R. (Bernard Couderc) : La recherche est fondamentale pour progresser dans la lutte contre le cancer. Il faut que tous les malades, quels qu’ils soient, aient accès rapidement aux nouveaux médicaments et aux thérapeutiques innovantes. Il faut trouver une solution pour maîtriser les coûts. Enfin, nous pouvons souligner que la Ligue est le premier financeur privé qui soutient la recherche contre le cancer en France. Nous sommes une ONG et nous faisons appel à la seule générosité du public pour nous aider.