« Ma rencontre avec les Sœurs de la Charité de Nevers est liée à ma découverte de Lourdes, à l’âge de 14 ans, dans la continuité de ce que nous vivions au sein de ma famille. Originaire de la Drôme, je portais un grand attachement à Bernadette Soubirous, que nous aimions prier ensemble. Lourdessignifiait tant que mes parents y avaient vécu leur voyage de noces. Lors de ma profession de foi, mon père nous a fait partager l’envie de rendre grâce au Seigneur. Rendez-vous a été pris pour aller prier à la Grotte de Massabielle quand mon frère a fait sa communion solennelle. C’est ainsi que, cette année-là, nous nous sommes rendus en pèlerinage à Lourdes, en famille.
Parmi les autres jeunes du pèlerinage, j’étais bénévole pour pousser les « voiturettes » des personnes malades ou handicapées. Je n’ai pas oublié cette première rencontre alors que, dans mon cœur, je portais le désir de consacrer ma vie aux personnes malades.
Lourdes a été une révélation : j’ai été surprise et heureuse de voir toute cette générosité qui se vivait sur place. Pendant les onze années qui ont suivi mes premiers pas à Lourdes, j’ai connu le service à l’hospitalité comme bénévole. Pendant l’été, j’ai travaillé pour financer mes pèlerinages avant d’entrer dans la vie professionnelle, comme aide-soignante à l’hôpital de Valence, à l’âge de 19 ans. A cette époque, j’ai fait une grande rencontre qui allait décider de ma vocation : celle de la congrégation des sœurs de la charité de Nevers.
Présentes dans les étages de l’Ancien Accueil Notre-Dame, les sœurs nous ont « transmis » ce qu’elles portaient en elles. Quand j’étais sur place, je les observais, je les voyais faire, à l’image de ce qu’avait vécu Bernadette, il y a 150 ans. Bernadette les avait vu soigner les malades, faire la classe ou s’occuper des personnes âgées à l’Hospice. C’est à leur suite que, dès 1866, Bernadette avait choisi de rejoindre cette congrégation vouée aux personnes les plus « pauvres ». Oui, les sœurs m’ont fait comprendre, à travers leur attitude, ce qu’était le don de soi, le sens du service.
Durant ces années, j’ai beaucoup appris, tout en faisant en même temps mon engagement au sein de l’Hospitalité Notre-Dame de Lourdes. J’ai aussi retenu l’essentiel : réserver le meilleur accueil à chacun. Même s’il est tard, même si l’on est fatigué par une longue journée, il importe de se souvenir que le pèlerinrencontré vient, peut-être, pour la première et dernière fois. Chacun doit être accueilli avec le sourire, car c’est Marie qui l’accueille à travers nous.
En 1985, j’ai rejoint la congrégation des Sœurs de la Charité de Nevers. Après la formation initiale, un premier envoi en communauté dans la Nièvre, puis en région parisienne, je suis arrivée à Lourdes en 1998.
Après six mois de mission au bureau de l’Hospitalité, j’ai rejoint l’Accueil Notre-Dame où je suis désormais en charge de l’animation pastorale. Chaque année, entre 450 et 600 pèlerins individuels séjournent en ce lieu, et il m’appartient de leur proposer un accompagnement personnalisé pour que leur pèlerinage à Lourdes réponde à une attente. Toute l’équipe de l’Accueil se dévoue pour que leur séjour se déroule dans les meilleures conditions, et rien n’est laissé au hasard.
En amont de leur arrivée, tout est prévu pour que les pèlerins puissent être hébergés en fonction de leur état de santé : nécessité de matériel médicalisé (lève-malade, bouteille d’oxygène..) ; information auprès du personnel de la cuisine pour les régimes particuliers ; il importe aussi de pouvoir avertir l’hospitalité si les personnes malades ou handicapées souhaitent faire la démarche de se baigner aux piscines. L’accompagnement de leur séjour passe par l’aspect pratique, mais aussi et surtout dans l’écoute ; c’est ainsi que des relations peuvent se tisser.
Outre cet aspect, je m’efforce de tout mettre en œuvre pour que le pèlerinage soit aussi un temps de rencontre avec Marie et le message de Lourdes. Le Père Musielak, aumônier de l’Accueil Notre-Dame, apporte une présence précieuse pour accompagner ceux qui ont des attentes particulières, comme celle de recevoir un sacrement.
Dès que les personnes sont arrivées sur place, il importe de les rencontrer, de passer du temps avec elles pour connaître ce qu’elles désirent confier à la Grotte. Nous accueillons des personnes de tout horizon ; certaines ne connaissent pas l’histoire de Lourdes, à nous d’être à leurs côtés, pour qu’elles puissent la découvrir ! Souvent, je propose aux pèlerins individuels de visionner une vidéo du Forum Information, consacrée au message de Lourdes. Nous accompagnons leur démarche pour qu’elles découvrent le lieu et ce qui s’y est vécu, à la lumière de l’Evangile. On prépare leur rencontre avec Marie à la Grotte de Massabielle, en leur expliquant ce qui s’est passé et la façon dont leur pèlerinage s’inscrit dans une continuité, au cœur de toutes ces foules qui, depuis 1858, affluent à Lourdes.
Discuter avec les pèlerins permet de cerner leurs attentes : quand ils viennent en famille, nous leur proposons de faire la démarche aux piscines ensemble. Tout au long de la journée, il y a bien d’autres rendez-vous : se rendre à une célébration eucharistique, demander un sacrement, participer à une procession. Ces gestes qui se communiquent, comme toucher le rocher ou lever le flambeau en chantant Ave Maria, me parlent du « faire Eglise ». Les pèlerins individuels sont à Lourdes pour une démarche personnelle, et au fil de leur séjour, ils découvrent qu’ils participent à une démarche collective.
Autant que possible, si plusieurs pèlerins individuels sont accueillis en même temps à l’Accueil Notre-Dame et s’ils parlent la même langue, nous leur proposons de se retrouver aux heures de repas. Ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls.
Le matin, je suis sur place au moment du petit-déjeuner, dès 7h30 : je fais le point avec les pèlerins pour organiser leur journée. Je crois qu’à Lourdes, il n’est pas tant question de « faire beaucoup ». Il importe davantage de « bien faire ». Bernadette le disait elle-même à une autre sœur, et cela doit rappeler que l’essentiel se vit avec le cœur.
A l’Accueil, nous recevons des personnes de toutes origines, de tous milieux. On mesure l’impact de Lourdes dans le monde quand on voit ces pèlerins venus parfois de très loin : Etats-Unis, Australie, Guadeloupe, Antilles, île de la Réunion, Espagne, Italie, Irlande, Vietnam, Philippines…
J’observe aussi le dévouement des bénévoles de l’hospitalité ; les hospitalières ont à cœur de proposer un accompagnement au sein du Sanctuaire, tandis que les hospitaliers rendent service en déchargeant les bagages ou en poussant les personnes en fauteuil.
Pendant l’année, les gens continuent d’envoyer des nouvelles. Lourdes n’a pas été une parenthèse. Des liens se sont tissés. Les pèlerins écrivent, envoient des photos, font part des peines et des joies. Tout cela donne l’impression d’appartenir à une grande famille.
La grâce de l’Accueil est à l’image du bâtiment : ce sont deux bras qui accueillent, les bras de Marie. Au niveau de la direction et de l’ensemble des services,tousincarnent ce message : les bras sont ouverts pour rencontrer celui qui, à Lourdes, vient prier Marie au pied du Rocher. Ce lieu porte un beau message.
Au sein de ma congrégation, la prière tient aussi une part importante. Chaque jour, je consacre une heure à la première personnelle, car notre « premier emploi » est celui de la prière. Dieu me donne la grâce de pouvoir offrir ma journée, et je lui présente ceux que je vais accueillir sous le regard d’une Parole. Chaque matin, je reçois la Parole de Dieu qui va entrer dans ce qui fait mon quotidien.
Le soir, nous avons un temps de prière communautaire pour les quatre sœurs basées à Lourdes. Nous rassemblons ce que nous avons vu, entendu, et reçu dans la journée, à la lumière de la foi. Nous portons aussi des intentions de prières de ceux qui s’adressent à nous.
Je trouve qu’elles sont grandes les richesses quand la vie se fait prière ! Dans mon cœur, j’aime à méditer les mots du Père Jean-Baptiste Delaveyne, fondateur de la congrégation : « Accomplissez en nous, Seigneur,ce que vous devez y accomplir ». Remettre sa vie dans la main de Dieu, c’est prier l’Esprit Saint pour que le Seigneur accomplisse en nous ce pour quoi nous avons été créés. Cette parole m’accompagne aujourd’hui alors qu’avec Bernadette, nous pourrions dire : « Il suffit d’aimer ». Pour vivre de cet amour tous les jours, il faut accueillir Dieu dans sa vie.
Je suis très attachée au pèlerinage de Lourdes Cancer Espérance, car je suis frappée par la fraternité qui y règne ; on ne sait pas qui est malade, qui est bien-portant. Parfois les accompagnants sont eux-mêmesmalades ou anciens malades. Il y a une grande chaleur humaine. Au sein de l’association, la maladie n’est pas accablante : les gens vivent dans la joie d’être rassemblés, donnant au pèlerinage le beau nom de celui du « sourire ».
Comme Sœur de la Charité de Nevers, je voudrais aussi souligner les festivités qui auront lieu cette année pour le 150e anniversaire de l’arrivée de Bernadette à Nevers. Bernadette nous attend tous à Nevers. A Lourdes, c’est Marie qui nous parle ; à Nevers, on prend le temps de se mettre à l’écoute de Bernadette. Les deux moments s’inscrivent dans un témoignage de vie, au cœur même de la mission reçue par chaque baptisé. A nous de suivre l’invitation qui nous est faite : celle d’aimer »
Propos recueillis par Béatrice Rouquet