Cette année, la retraite portait sur le secret du « prendre soin » comme défi de fraternité, avec le souci de « cheminer » sans craindre les étapes… celle de « la Bible souvent mal connue », celle du « rapport à soi parfois mal ajusté », celle du « service de l’autre à vivre dans la juste distance », celle enfin de l’authentique visage de Dieu qui « prend soin en se laissant toucher par la faiblesse humaine ».
1-Entrer dans le « prendre soin » en s’enracinant dans la Bible, c’est accepter de déplacer en soi telle ou telle image biblique trop marquée : par exemple, celle de n’en rester qu’à ce que j’appelle « la face nord » de Dieu. Celle d’un Dieu si puissant qu’on finit par en avoir peur ou celle d’un Dieu si haut et si lointain qu’on finit pas le croire indifférent à certaines situations de nos vies. Et d’aborder enfin « la face sud », celle d’un Dieu accessible, proche, qui écoute et « prend soin » au point d’être l’Emmanuel, « Dieu avec nous ». Elles sont nombreuses les situations bibliques, y compris de l’Ancien Testament, où Dieu « prend soin ». On ne peut les reprendre toutes, mais relisons le livre de l’Exode au chapitre 34, versets 6 et suivants… « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché »… Relisons Isaïe au chapitre 49, versets 14 et suivants. « Dieu a consolé son peuple, il prend en pitié les affligés… J’avais dit, Dieu m’a abandonné, il m’a oublié. Une femme oublie-t-elle son petit enfant ? Est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Et même si ces femmes oubliaient, moi je ne t’oublierais pas ; vois, je t’ai gravé sur les paumes de mes mains ».
Jésus est donc bien l’Emmanuel, « Dieu avec nous ». Il s’intéresse, il touche, il sait regarder, comme si « le secret du prendre soin, c’était le regard » et c’est souvent « le regard qui guérit ». Tout change quand on regarde quelqu’un d’une autre façon. Relisons l’Evangile de Luc au chapitre 7, versets 36 à 50…et soyons attentifs à ce que Jésus fait. Il déplace le regard de Simon qui ne s’intéresse qu’à son Maître, pour l’orienter vers la femme pécheresse et l’éduquer à la miséricorde…Où en sommes-nous de « la face sud » de Dieu dans nos vies et dans nos missions ?
2-L’expérience de la maladie apprend souvent cette « lente et paradoxale découverte de soi ». Traverser une série de prises de conscience, d’événements, de rencontres, de découvertes intérieures, d’échecs, d’impasses dont on est sorti, jusqu’à pouvoir dire : « il m’a fallu du temps avant de rencontrer quelqu’un qui m’a accordé suffisamment de confiance pour que je puisse moi-même me faire confiance et prendre soin de moi »…C’est bien une découverte intérieure qui doit être faite, un processus intime, pour accéder à cette acceptation du « prendre soin de soi ». Face à la maladie, je ne peux pas mentir longtemps, ni aux autres ni à moi-même. « Si ma vie a basculé, ce fut essentiellement en acquérant d’un seul coup, avec le surgissement de la maladie, le caractère d’une expérience personnelle ». Où en sommes-nous de cette « expérience de vie » pour nous-même ? Comment y veillons-nous dans nos missions diverses et à LCE ?
3– Dans tout ce qui a visage de « soin », on explore quelque chose de la relation à l’autre dans ce qu’il est vraiment, c’est-à-dire fragile. L’amour authentique n’est-il pas de se rapprocher de l’autre en vérité, en acceptant sa fragilité et sa différence ? C’est justement cela qui est grand ! C’est parce qu’il y a des gestes d’attention dans l’ordinaire qu’on montre la valeur d’un sentiment, d’une dignité, d’un service. Mais cela va jusqu’à prendre conscience qu’aimer quelqu’un, c’est reconnaître en lui, en elle, quelque chose que l’on ne comprend pas, qui peut surprendre et qu’on continue de l’aimer comme tel. C’est ce qui empêche toute envie de maîtrise, de contrôle sur l’autre. Oui, prendre soin de l’autre, c’est accepter sa part de mystère…« Prendre soin de l’autre »consiste alors à cheminer avec l’autre tout en restant différent de lui. Certains parlent du « sable mouvant du soin », « d’équilibre précaire » dans le sens où « l’on marche à vue » mais c’est au moins dans la vérité. « Prendre soin de l’autre » c’est se résoudre à la part opaque de toute personne. Et cela passe toujours par « de petites choses », « de petits gestes », « de petites attitudes », « de petites paroles ». Il y a donc bien une part d’éphémère, d’unique, d’urgent dans le sens d’un moment, d’une rencontre, dans le soin de l’autre. C’est donné et c’est à vivre. C’est là toute sa grandeur et sa justesse…Où en sommes-nous de ce juste service à l’autre, de cette acceptation de sa part de mystère, pour progresser dans le service du frère ?
4-Voilà l’œuvre de Dieu, voilà ce qui touche son cœur, c’est notre faiblesse, et c’est pour cela qu’il prend soin…Il s’agit, rien de moins, que de faire valoir un « droit à l’existence », un « droit à l’importance », un « droit aux sans voix », un « droit à la vulnérabilité ». Dieu est ainsi et Dieu est ainsi « en Jésus ». Dieu « prend soin » parce qu’il est bouleversé dans ses entrailles par la misère ou la souffrance de l’homme. Dieu « prend soin » parce qu’il veut sortir l’homme de son obscurssissement sur lui-même, lui redonner la vie là où il pensait l’avoir perdu. « C’est pour cela que Dieu est sorti » comme dit le Pape François. L’enjeu touche aux trois dimensions de la personne humaine, Dieu, l’autre et soi et le « prendre soin » concerne les trois. Et parce que tout commence souvent par une circonstance douloureuse, la prise de conscience en est d’autant plus importante. C’est ainsi que l’existence humaine est comme une succession de « pâques », de morts et de résurrections, comme une « loi » qui gouverne toutes les manifestations de la vie, jusqu’à la Pâque éternelle. « Prendre soin » c’est répondre à l’appel de revenir à la vie, de choisir la vie, pour soi, avec l’autre et avec Dieu, tel que l’on est, en cheminant… Voilà comment le Pape François en parle : « C’est le cœur de Dieu qui est comme cela. Il ne se lasse pas et il a agi ainsi pendant tant de siècles… Dieu est un Dieu qui attend toujours depuis le paradis terrestre où Adam est sorti avec une peine mais avec aussi une promesse, et le Seigneur est fidèle à sa promesse parce qu’il ne peut se renier lui-même…Quelque part, Dieu perd toujours au sens d’un bilan d’affaires, mais il est toujours vainqueur en amour, il aime et ne sait pas faire autrement… » (Homélie du 28 mars 2014)
d’après la retraite prêchée par le P. Michel Pagès, aumônier national LCE
Photos : Philippe Cabidoche